Théatre : Les Loups, 1er acte

Publié le par Futile

Acte I

S1

Le vieux stratège, à sa fille :  ne pleure pas…

Elle : ils vont le tuer…

Lui :  tu ne sais pas ce que tu dis…Pourquoi veux-tu qu’ils le tuent ? Il n’a rien fait.

Elle : il fera !

Lui : tu en es si sûre ?

Elle : oui ! [entre le nouveau gouverneur de la ville, général spartiate] Chut !

Le nouveau gouverneur : je vous salue !

Lui : ne réponds pas !

Elle : je ne réponds pas, père.

Le nouveau gouverneur : je vous ai dit : Salut !

Lui : il n’existe pas, ne l’oublie pas ! Athènes est restée la même, avec ses avenues, ses potiers, ses promenades. N’oublie pas ses manèges, où tu t’amusais à tourner, à tourner encore, et à tourner toujours, quand tu étais petite. Souviens-toi, rien n’a changé, et je vais t’offrir toutes les gaufres que tu voudras, chez le petit marchand, près de la poste…

Elle : je n’oublie pas.

Le nouveau gouverneur : Salut, j’ai dit !

Lui : allez, viens, allons trouver la pureté dans les rues d’Athènes, comme quand tu étais petite ; non, tu sais, rien n’a changé, juste les hanches des femmes qui ont eu plus d’enfants, et le champion de la coupe, qui est maintenant Anthodécatlos, le jeune, le beau petit Anthodécatlos, depuis qu’Aristopathos, le jeune, le beau petit Aristopathos, s’est couché, après la bataille, il était tout blanc, le pauvre : il faudra lui rendre visite, fais-moi y penser… Viens, nous allons marcher comme des vauriens dans les rues sales, là où la lèpre moche n’est pas encore entrée, là où tout est pareil. Tu viens ?

[il prend le bras de sa fille, et s’apprête à sortir, mais entre une petite brigade de soldats spartiates, qui les empoignent, et les font sortir, en silence. Un des soldats se détache du bataillon, et se met à lire, face au public]

le soldat : aujourd’hui z’et sur ordre de Sparte, pour Athènes et les athéniens, pour le bien et l’ordre public, l’ancien stratège dépravé, le dénommé Sagos, qui par sa folie conduisit Athènes à sa ruine actuelle et z’à sa déchéance présente, et en vertu de l’honneur qui m’a t’été z’ accordé, a été t’arrêté et condamné, par la pendaison, à périr, ainsi donc sa dépouille pourra t'être dépecée par le bec des corbeaux, ses chairs à déchiqueter pourront donc marquer ainsi le sort, durablement, et surtout les esprits comme lui, qui ne verraient pas en Sparte le grand libérateur de la nation grecque, et afin de réjouir les ceux qui, à l’esprit sain, humain z’et sage, ne pourront que se féliciter de la mort de l’une de ces semblables erreurs de la race humaine… [ il salue le public, bras tendu, et puis sort]

 

 S2

Le nouveaux gouverneur : ah, que voulez-vous ? Le problème de la politique. Vous commencez par culpabiliser pour chaque vieux fou accroché à ses idéaux – cerfs – volants qu’on embarque et vous finissez par pleurer chaque enfant mort. Moi, je ne m’occupe pas d’idéologie, je travaille à la majorité. Si elle est la plus forte elle doit avoir raison. Mon travail, ce n’est même pas les bombes ; j’arrive après. Je constate. Je répare. Comme dans l’automobile, le garagiste doit parfois purger : je purge. Et quand il fait briller le carrosse : je fais reluire avec lui. Je suis mécanicien, mécanicien de la vie publique. J’huile les rouages. Somme toute normal. Peu m’importe pour qui je travaille, tant que le travail est bon. Si demain, la République Populaire de Crète se mettait à la même besogne que Sparte, je travaillerais avec eux tout autant. Mais…( il se met à réciter ) Ce n’est pas possible. Crète est gouvernée par un régime de tyrans, qui appuie sa pseudo-légitimité populaire sur une armée de brutes. Les soldats crétois violent, les soldats crétois brûlent. Ils sont laids, et génétiquement inférieurs. Leur manque d’intelligence les conduit d’ailleurs à … (bruit de bombes, d’avions, de tout et n’importe quoi d’acier militaire, chars d’assaut ou autre) Qu’est-ce ? Ah ! il est de mon devoir de m’informer. Pour chaque problème il y a une cause, et c’est à moi d’en trouver la conséquence. Bon. ( il sort).

(il revient) Bon, ce n’était pas grand chose. Juste quelques maisons qu’on rasait, remplies de terroristes. Vous savez, il ne faut pas…(grands boums à la porte du palais) Bon, quoi encore ? (il se lève et va à la porte) Que ?

un jeune homme : Où est elle ? Où est Hélène ?

le général : Qui êtes-vous ?

le jeune homme : Hélène, où est Hélène ? Je dois voir son père, ils vont me… Qui êtes vous ?

Médiopikos : Général Médiopikos ! Taisez-vous ! Au nom de Sparte, au nom des dieux, qui êtes-vous pour troubler dans son travail le gouverneur d’Athènes ?

Le jeune homme : le quoi ? Je ne connaîs que les stratèges !

Médiopikos : les temps changent, jeune homme ! Qui êtes vous ?

Le jeune homme : les temps changent, Sparte, peut être, mais pas Athènes ! Nous resterons libres, tu m’entends ? Les loups ne m’arracheront pas le foie, vos fusils ne me feront pas plier. S’il faut crier, je crierai. (il hurle) Vive Athènes ! Tu m’entends ? Vive la liberté ! Tu m’entends encore ?

Médiopikos : Quel est ton nom, jeune fou ?

Le jeune homme : où est Hélène, et son père, le vieux Stratège Sagos ?

Médiopikos : Tu les connais ? Qui es-tu ?

Le jeune homme : tu les as tués, c’est ça ? (il sort un revolver) Espèce de ! (entre des soldats loups, qui l’arrêtent) Assassins !

Médiopikos : par les dieux, que ce métier est dur ! Ouf, par ma foi, je sue. (il sort)

 

S3

 

(les soldats rentrent, poussant le jeune homme)

un soldat : allez, pas de scandale !

le jeune homme : c’est ça, pas de scandale ! Vous croyez pouvoir tuer, sans qu’on ouvre nos gueules !

le soldat : tu as de la chance, qu’on t’ait pas fait fusiller tout de suite, on a pas le temps. (il hésite) Cigarette ? (pas de réponse) Bon, ça va ! Je fais mon boulot, moi, j’essaie d’être gentil, comme tout le monde… ( les soldats sortent)

le jeune homme : C’est ça, oui ! Ca vous tue pour crime de pensée et ça vous offre du bon tabac ! Ca se cache derrière des manières ! Résistance ! Je crie Résistance à tout le monde entier ! Résistance au savetier qui répare la sandale, Résistance au vigneron qui foule aux pieds le raisin, Résistance à l’enfant qui pleure pour l’égratignure, Résistance au marchand de rêves, au poète, à l’amoureux, au fou qui croit pouvoir voler… Vous ne me tuerez pas ! Il faudra m’écorcher avant, montrer mon corps sanglant sur la place publique, lui dire : « Là est Panamore, le… »

(entre Mediopikos) Résistance !

Médiopikos : suffit ! Quel crime as-tu commis ? Si, mais je te reconnais ! Tu es le jeune agitateur de tout à l’heure, qui voulait me tuer ! Je suppose que tu aurais fait cela pour Athènes ?

Panamore : Non !

Médiopikos : Comment cela ?

Panamore : Bien sûr, cela te dépasse. Athènes n’est qu’une case de l’échiquier ! Que ce soit pour Athènes ou pour Sparte, peu m’importe, c’est pour l’homme que j’agis… Tu ne comprends pas, hein ?

Médiopikos : Je ne te comprends pas, non. Moi, j’agis pour ma famille, pour ma patrie. C’est normal, j’agis pour qui m’est proche !

Panamore : Parce que le marchand de fruits de la rue très loin, que tu ne connais pas, dont tu ne te doutes même pas, mais qui est de ton pays, t’est plus proche que moi, que quiconque, que n’importe quel athénien que tu connais déjà ? Tes ennemis de Sparte te sont plus proches que les belles filles d’Athènes, peut-être ? Les anarchistes de Sparte te sont plus proches que les fascistes d’Athènes, que tous les colonels grecs ? Et ton frère qui couche avec ta femme, tu l’aimes plus que ta maîtresse d’ici ?

Médiopikos : Je n’ai pas de frère.

Panamore : Je n’ai pas de frère. Je n’ai pas de frère ! Moi j’en ai, si, j’en ai de partout… Imagine, des frères de partout, des frères de la côte, des frères de la terre, des frères de la ville, des frères à chaque port et dans chaque pays… Imagine-toi, des frères !

Bien sûr, tu ne peux pas en avoir, toi !, avec tes insignes fâcheux comme épaulettes, avec ton arme à feu à la gueule pointée sur l’homme… Et pourtant, il te suffit de l’arracher, de le jeter aux ronces, de tout abandonner, pour tout redécouvrir…

Tu m’écoutes ?

Médiopikos : Si tu parles ainsi, j’en ai peut être, si, des frères, les soldats, les amis du Parti…

Panamore : Le Parti, la partie, la grande partie de la folie dans laquelle nous sommes tous tombés, tous pris, tous englués comme des mouches, le parti pris des choses… Ecoute, si je t’expliquais comment tu peux devenir un homme, un vrai frère, tu le ferais ?

Médiopikos : tu veux dire quoi ?

Panamore : tu peux encore tout lâcher, rejoindre la vraie lutte…

Médiopikos : laquelle ?

Panamore : laquelle ? celle de l’homme, de l’humain, vraie ! Rejoindre le rang des justes ! Quelle lutte ? La Liberté !

Médiopikos : (l’air effrayé) la liberté ? Oh non ! On ne vous a jamais appris les méfaits de la liberté ? (il se met cette fois encore à réciter) La liberté, nom féminin, sert de prétexte à la démocratie, engendre l’Anarchie. La démocratie est le pouvoir des faibles. Seul un Conducteur à la main de fer peut mener un peuple à la gloire…

Panamore : Quel chef ? Quel peuple ? Quelle gloire ?

Médiopikos : …à la gloire, et faire de lui la lumière du monde !

Panamore : Et depuis quand l’obscurantisme est-il lumineux ? Depuis quand la fermeture des universités et la censure de l’art conduisent-ils à la lumière ?

Médiopikos : Depuis qu’Itlèrios l’a dit.

Panamore : Itlèrios, le nain boiteux qui voudrait une race d’éphèbes pour dominer le monde ! Itlèrios, le nain boiteux qui voudrait gazer tous les laids, et donc tous ceux à son image !

Médiopikos : Tu as osé ! Tu… Tu seras fusillé, demain, à la première heure ! Soldat !

(un soldat vient lui ouvrir la porte, il sort) Malade !

Panamore : fusillé, c’était donc ça mon destin… Je ne veux pas mourir. Hélène ! (il s’allonge sur sa couche)

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